Depuis un certain temps, des chauds partisans des Présidents Bozizé et Djotodjia occupent les médias pour demander le retour au pays des deux anciens présidents. Le débat placé essentiellement sous l’angle juridique, a réussi jusqu’ici à occulter sa portée politique. On peut le résumer en ces termes : le Président Bozizé sous sanction du Conseil de Sécurité peut-il quitter Kampala où il réside pour rentrer en RCA ?
La réponse pour ses partisans est évidemment oui tandis que le gouvernement y voit la violation de la sanction onusienne qu’il ne saurait encourager.
A vrai dire, ce débat est un faux débat et n’intéresse pas les centrafricains. Le vrai débat qui importe pour nos concitoyens est la responsabilité de ces deux (2) présidents dans la descente en enfer de la RCA. Effectivement notre pays est devenu un enfer pour la majorité de ses enfants. Jamais de mémoire de centrafricain on a vécu une telle tragédie. Le pays est divisé avec des pans entiers du territoire national occupés par des rebelles et mercenaires qui pillent sans vergogne nos richesses minières. L’économie exsangue est sous perfusion à tel point que les dépenses de souveraineté depuis la Transition sont garanties par les partenaires au développement, le tissu national en lambeau : le centrafricain naguère fier de son appartenance à une même nation a longtemps vécu sous la menace d’une partition. Si celle-ci est aujourd’hui conjurée, il reste beaucoup à faire pour rétablir un véritable climat de confiance entre les communautés qui vivaient jusqu’à une époque récente en parfaite harmonie malgré leur appartenance à des confessions religieuses différentes.
Mais plus grave est le coût humain de cette crise. Des milliers de centrafricains sont morts, des dizaines de villages et des milliers de cases détruits, des champs dévastés, des centaines d’écoles et centres de santé rayés de la carte sans oublier les lieux de culte et de prière et le traumatisme qui pendant des années affectera les centrafricains de tous âges singulièrement les femmes violées et les enfants victimes des massacres commis sous leurs eux.
Les centrafricains n’ont cessé de s’interroger sur la responsabilité de cette descente au enfer. Au lieu de les distraire avec le faux débat sur le retour des deux anciens présidents, il faut répondre aux préoccupations des centrafricains qui veulent connaître les responsables de leurs souffrances. Le peuple centrafricain n’est pas aussi naïf qu’on veut le croire. Il a identifié lui-même les responsables en la personne des anciens présidents.
La responsabilité du Président Bozizé remonte aux calamiteuses législatives de 2011 organisées sous l’empire de la fraude. L’objectif visé par le Président Bozizé était de parvenir à la révision de la constitution par la voie parlementaire afin de faire sauter le verrou limitant le mandat présidentiel. Pour cela il lui fallait une Assemblée nationale contrôlée aux ¾ par le KNK d’où la fraude sans précédent pilotée par le président lui-même. S’il a obtenu gain de cause avec une assemblée nationale taillée sur mesure, par contre il a plongé le pays dans une crise politique. L’opposition regroupée dans un front de refus n’a cessé de demander l’annulation des élections législatives contestées.
On connaît la suite avec l’implication directe de la communauté internationale – renonçant à l’annulation des élections, elle a insisté pour l’ouverture d’un dialogue avec l’opposition qui pourrait déboucher sur la formation d’un gouvernement dirigé par un Premier Ministre issu de cette opposition. On a assisté à un véritable ballet diplomatique des personnalités africaines : l’ancien président du Burundi, Buyoya, pour le compte de l’OIF, le président du Bénin enfin la grosse artillerie en la personne du Président tchadien Déby, le faiseur du Président Bozizé qui raisonnablement ne pouvait pas dire non à celui présenté comme son mentor.
Au cours de la réunion organisée au Palais de la Renaissance avec la participation de l’opposition, le Président Deby a obtenu du Président Bozizé son accord de principe pour un dialogue avec ses opposants. Ce dialogue promis à Déby et au-delà à la communauté internationale, ne s’est jamais concrétisé. L’échec du plan A a accéléré la mise en œuvre du Plan B c’est-à-dire le recours à la force pour faire entendre raison à notre président.
A la manœuvre, le Général président Idriss Déby qui connait les coins et recoins de la RCA. La SELEKA puissamment armée et renforcée par les mercenaires tchadiens et soudanais a mis en déroute notre armée incapable de protéger nos villes qui tombaient les unes après les autres. La colonne des mercenaires sur ordre du président Déby a campé à Sibut en attendant l’issue des négociations annoncées à Libreville.
A ce stade, il convient de souligner la responsabilité du président Bozizé dans l’échec de notre armée à contenir l’avancée de la rébellion. Comme ses prédécesseurs, il a contribué à affaiblir les FACA au profit de la sécurité présidentielle mais pire, alors que le pays était en guerre, il a ordonné qu’on dote les militaires envoyés au front d‘un seul chargeur. C’était les envoyer à la boucherie, nos militaires l’ont tellement bien compris que la quasi-totalité a refusé de combattre l’ennemi.
Cette attitude du président Bozizé est d’autant plus incompréhensible qu’il a profité du bonus d’engagement (11 milliards de francs) perçu à l’occasion de la vente des blocs sur le site de Bakouma à la société URAMINES, pour acheter deux (2) hélicoptères et des armes modernes stockées à Benzambé, Bossembélé et au camp de Roux. Les FACA dotées de ces équipements, auraient probablement stoppé la horde de ces envahisseurs étrangers épargnant ainsi à notre population des souffrances sans nom endurées depuis sept (7) ans.
La chute du pouvoir Bozizé le 23 mars 2013 suite à son refus d’appliquer l’Accord de Libreville, a permis à la SELEKA de saisir ces stocks d’armes qui ont servi par la suite à massacrer nos paisibles citoyens.
La Constitution de la RCA fait obligation au Président élu, avant d’entrer en fonction, de prêter le serment de protéger la population et garantir l’intégrité du territoire national.
Le président Bozizé a prêté ce serment en 2005 et 2011. S’il a oublié, le peuple centrafricain se fait fort de le lui rappeler.
La responsabilité du président Djotodjia dans la descente de notre pays en enfer, n’est pas des moindres.
La SELEKA dans sa marche pour la conquête du pouvoir, forte du soutien multiforme des pays voisins (tchad, soudan) a multiplié les crimes économiques et crimes de sang. La liste exhaustive de ces crimes serait longue, je me contenterai d’illustrer mon propos par quelques exemples :
- Autorisés à se payer sur la bête, les mercenaires au service de la Seleka se sont livrés systématiquement à des pillages de véhicules, camions, ordinateurs, appareils ménagers, meubles, bœufs écoulés sur les marchés tchadiens et soudanais.
- Incendie des milliers de villages, destruction des centaines d’écoles, des centres de santé, des lieux de culte et de prière ;
- Pillage des richesses minières (or, diamant), sylvicoles et fauniques à l’instar du Parc Manovo-Gounda livré aux braconniers soudanais et tchadiens ;
- Viols des femmes, assassinat des milliers de centrafricains dont beaucoup égorgés comme des moutons ;
- Discrimination sur une base religieuse dans les villes et villages investis par la Seleka où les victimes de pillages et de violences de toutes sortes sont de confession non musulmane.
Certes, le président Djotodjia pour se défendre dira à qui veut l’entendre qu’on ne saurait le désigner responsable des crimes qu’il n’a pas commis personnellement. Ces argumentation à la M’Bemba seront battus en brèche devant n’importe quelle juridiction. Le président Djotodjia en tant que président de la Seleka et chef militaire de cette entité porte l’entière responsabilité des crimes perpétués par ses hommes. Il est au même titre que le président Bozizé l’acteur de la descente aux enfers de notre pays et responsable des cruelles souffrances endurées par le peuple centrafricain depuis fin 2012.
Les deux (2) anciens présidents en tant que centrafricains sont libres de rentrer chez eux. Ils doivent savoir qu’ils s’exposent à l’accusation de parjure pour n’avoir pas respecté leur serment.
Le débat sur le retour de ces anciens présidents, cher à leurs partisans, n’a de sens que s’il est lié à leur responsabilité dans la situation catastrophique de notre pays.